« Brouette » à Trempolino Bis

Nantes, lundi 16 octobre 2017.

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Y a des spectacles un peu casse-cou. Dans Brouette, par exemple, tu te prends des livres en pleine face. Kana Sutra de James Noël : c’est le premier qui a volé au-dessus de ma tête. Le deuxième l’a suivi de près : Réparer les vivants de Maylis de Kerangal. J’ai bien aimé celui-là, même s’il m’a fait un peu mal à la réception. Il faut dire qu’on était à Trempolino, le lieu des musiques actuelles perché sur un ancien blockhaus ; c’est un peu rock’n’roll là-bas, les spectateurs reçoivent souvent des trucs en pleine face, et pas que des livres.

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Recevoir un livre. On entend bien l’ambiguïté dans le verbe « recevoir ». On reçoit un livre quand on le lit : c’est-à-dire par les mots, qui nous envoient des informations et des émotions. Dans Brouette, la comédienne lance le livre, et c’est le geste même de la comédienne qui fait que le livre arrive jusqu’à nous. Mais qu’est-ce qu’elle cherche ? Qu’on l’attrape ou qu’on le lise ?

« La lecture renvoie à notre propre histoire. J’ai aimé l’ancrage rural, le grand-père, la brouette. Sans doute parce que ça fait écho à une page de mon passé, à mon intimité. La littérature, ce n’est pas qu’une affaire d’intellos citadins, filles ou fils de cultureux. C’est une affaire de perception, de sensibilité, d’émotion. C’est une traversée du temps. Et ça touche tout le monde. »

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Des livres de Brouette ont résonné en moi, parce que je les avais lus. D’autres que je ne connaissais pas m’ont touché. Des passages lus en d’autres langues en plein milieu de la « conférence », la musique des langues, ça me touche. La comédienne était sur scène comme dans la vraie vie, naturelle. Elle parlait comme si elle nous parlait. Comme si on conversait. Et dans la conversation sont venus des questionnements. Qu’est-ce qu’il se passe quand on lit ?

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Quand je lis, comme dans la vie en général, j’attends que quelque chose se passe. Un coup de cœur qui entraînerait un autre coup de cœur. J’attends aussi qu’un livre m’emmène vers un autre. Ou un autre. Ou encore un autre. Est-ce qu’on sait, avant de marcher, quelle chaussure sera à notre pied ? Lire, c’est partir en quête amoureuse

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Brouette me fait penser aux Dix droits du lecteur de Daniel Pennac. Qu’on puisse commencer un livre par le milieu ou par la fin, grappiller dedans comme on veut, qu’on puisse ne pas le lire, ne pas le finir et se taire après l’avoir lu – au collège, ça m’avait choqué. Maintenant, je ne pense plus pareil. Aujourd’hui, quand je pense lecture, je pense liberté.

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On peut inventer des histoires, on est libre. On est libre de créer l’histoire qu’on veut. Personne, jamais, ne nous notera. » : ça m’a beaucoup frappé quand la comédienne a dit ça. Ça a fait écho à mon histoire avec la littérature. Pour mes dix ans, ma mère m’avait offert toute la collection de la Comtesse de Ségur, à raison d’un livre par mois pendant je ne sais combien d’années. Ce fut un cadeau fondateur. Extrêmement fondateur. Brouette a réveillé ces souvenirs de lectures. Je repars avec l’envie de replonger dans les livres – le mot « gourmandise » me vient en tête.

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– Au fait, c’est quoi l’intention de Brouette ?
– Transmettre une expérience de rencontre avec la littérature – y a pas de recette, y a que des exemples. Montrer comment les livres qu’on rencontre nous « travaillent ». Dire ça, comment ça travaille.
– Brouette, c’est une forme artistique qui met sur le même plan ce qui se joue sur la scène et ce qui se joue dans la salle. C’est faire se rencontrer les deux.

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Brouette n’est pas un spectacle qui reste sur la scène ; il continue dans la salle – Brouette se prolonge dans la bouche du spectateur. Les acteurs culturels sont tous d’accord pour dire qu’il faut valoriser le spectateur. Mais qu’est-ce qu’on fait de son propos ? Est-ce qu’il peut devenir spectacle lui aussi ?

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Il y a le temps de la comédienne, il y a le temps du spectateur, et il y a le temps où les spectateurs fabriquent ensemble. Où on va vers un « dire » qui est le nôtre. On fait « communauté d’intelligence ». Un « nous » qui n’est pas fermé. Un « nous ouvert ».

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Tout est là, y a qu’à s’y mettre !

© photo _ Jules Kérouanton