Appel au public

Public,

Tout est dans le spectacle. Il n’y a qu’à raconter - la forme de chaque mouvement, la leçon de chaque écriture scénique, l’écho de telle musique, l’ambiance dans la salle.

Public, il faut commencer à parler.

Public, ne dis pas que tu ne le peux pas. Tu sais dire que tu ne peux pas.

Public, ne dit pas : je ne peux pas dire. Ou alors apprend à le dire. Et tu n’en finiras pas de trouver des manières de dire je ne peux pas et bientôt tu pourras tout dire, tu parleras indéfiniment parce que, quoi que tu en dises, tu te hâteras d’ajouter : ce n’est pas vraiment cela que je veux dire, attendez un peu, je vais essayer de préciser

Public, n’hésite pas à mettre tes yeux derrière la tête. Ne dis pas que tu ne le peux pas. Tu sais voir, tu sais parler, tu sais montrer, tu peux te souvenir. Que faut-il de plus ?

Public, Le Dico du spectateur déclare que tu n’es pas UN public : ce qui unit les spectateurs est leur désunion, le fait que leurs voix n’ont rien à voir les unes avec les autres, qu’elles existent pour leur vérité toute personnelle, par elles-même. Elles sont absolues solitudes. Elles sont archipels. Elles sont 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1…

Ces voix peuvent-elle faire l’objet d’un partage ?
Peut-être.

D’un endroit commun ?
Peut-être.

D’un arc-en-ciel du sensible ?
Peut-être.

Le Dico du spectateur, par ses définitions, propose de mettre en vis-à-vis ces voix sans destin commun, de les mettre « en communauté d’intelligence ».

Pour Le Dico du spectateur,
Joël Kérouanton

Nota Bene : Que Jacques Rancière, auteur à son insu de quelques pensées réemployées dans ce texte, excuse mon cannibalisme littéraire. Peut-être viendra le jour où ce penseur me remerciera : il doit en quelque sorte à ce Dico du Spectateur une présence étendue, par le supplément de vie que ce texte lui donne.